En créant la rubrique « mémoire du futur », le Lab50 a souhaité mettre en valeur et encourager les experts-comptables mémorialistes qui ont choisi d’approfondir un thème lié à l’intelligence artificielle. Et ainsi de mettre à disposition de la profession leurs travaux et œuvrer au bénéfice de tous. N’hésitez pas à les encourager en leur faisant part de vos retours d’expérience, le cas échéant.
Lab50 : Pouvez-vous vous présenter ?
Je suis actuellement expert-comptable mémorialiste au sein d’un cabinet régional structuré en réseau sur plus de 90 sites. Par le passé, j’ai évolué dans un cabinet international où j’ai pu participer à la mise en place de divers outils orientés numérique, digitalisation et dématérialisation. Je pense que la profession d’expert-comptable est très enrichissante, tant par les rencontres qu’elle occasionne que par les connaissances dont il faut faire preuve pour l’exercer (que celles-ci soient pratiques, théoriques, techniques, technologiques ou humaines). Je suis également chargé, au sein du cabinet où je suis salarié, d’informer régulièrement les collaborateurs des avancées technologiques en matière de digitalisation et d’intelligence artificielle (IA).
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
J’ai toujours eu un affect particulier pour la technologie et ses évolutions, notamment dans les domaines de la photographie et de l’informatique. Cette curiosité me pousse à suivre de près l’actualité numérique et je constate que l’évolution technologique s’accélère depuis plusieurs années déjà.
La profession d’expert-comptable a connu plusieurs ruptures technologiques matérielles, logicielles et infrastructurelles. Elle a su maîtriser et adopter ces évolutions avec brio en se servant de celles-ci, à la fois pour son compte mais également pour le compte de sa clientèle en développant des outils adaptés à ses besoins.
A l’heure actuelle, la profession se retrouve confrontée à la nouvelle révolution technologique de l’IA. Je suis d’avis qu’elle pourrait apporter une véritable valeur ajoutée au métier d’expert-comptable si elle est adoptée avec anticipation et maîtrise.
C’est pourquoi, le sujet que j’ai choisi de traiter fait le lien entre une de mes passions et ma profession en proposant une démarche structurante dans la mise en place de l’intelligence artificielle au sein des cabinets de proximité et en sensibilisant cette typologie de cabinets aux missions potentielles qui pourront s’offrir à eux.
Pouvez-vous nous expliquer ce que l’IA peut apporter au secteur de l’expertise-comptable et aux autres secteurs d’activité ?
L’IA a déjà démontré son utilité dans de nombreux secteurs et pas une seule semaine ne se passe sans que de nouvelles publications sur les avancées de l’IA ne soient publiées.
Par exemple :
- Dans le domaine juridique, l’IA LawGeek, a déjà fait ses preuves, tant sur la rapidité de résolution des cas qu’ils lui ont été soumis que sur la qualité des réponses apportées.
- Dans le domaine médicale et bancaire, l’IA de IBM Watson réussi à répondre à n’importe quelle question posée par un humain en langage naturel. Elle est capable d’emmagasiner, de comprendre et de croiser un grand nombre d’informations afin d’apporter une réponse adéquate à la question posée.
Au-delà de la simple utilisation du numérique, je pense que l’expert-comptable est un acteur central dans la circulation des flux d’informations et qu’il doit profiter de cet avantage afin d’élargir ses missions traditionnelles.
L’IA nous permettra d’avoir un traitement rapide, efficace et efficient de la data. Certaines tâches, récurrentes et routinières, bénéficient déjà des moyens d’automatisation que nous connaissons (via l’OCR notamment) mais l’IA, elle, va au-delà de ces simples fonctionnalités en proposant une analyse de la data ainsi que des solutions à des problématiques posées.
Du fait de la place importante prise par la data et de notre position centrale dans ces tissus d’informations, je reste persuadé que l’IA se prête tout à fait à une application dans notre secteur d’activité. Son rôle d’appui aux compétences et aux propositions de l’expert-comptable est indéniable.
Cela va-t-il avoir un impact sur la relation client ? sur la responsabilité ? et in fine sur la déontologie du professionnel ?
Comme toute relation humaine, une bonne relation client nécessite du temps. Par nature, les personnes ont besoin de se connaître avant de pouvoir se faire confiance et collaborer de manière efficiente ensemble. Il est essentiel d’avoir à l’esprit que nous ne faisons pas ce métier simplement pour retranscrire de l’information dans un logiciel et délivrer des comptes annuels, nous possédons une véritable prérogative en matière d’accompagnement et de conseils auprès de nos clients. Nous devons connaître, accompagner et échanger avec eux afin d’instaurer une relation de confiance. Au-delà d’être des simples prestataires, nous sommes avant tout leurs partenaires et leurs conseillers.
Alors oui, les relations avec nos clients évolueront avec l’IA, la partie chiffrée sera toujours présente bien sûr, mais les relations humaines que nous entretiendrons avec eux ne pourront qu’être renforcées.
De par les prérogatives de notre métier, les responsabilités auxquelles nous sommes soumis sont importantes. Les règles déontologiques auxquelles nous adhérons sont strictes et permettent de sécuriser l’exercice de notre profession. L’intégration de l’IA au sein de celle-ci, comme tout changement, apporte son lot d’avantages et de risques. Il est essentiel de ne pas considérer cette technologie comme un outil informatique mais comme un ensemble. Il n’est pas possible d’utiliser l’IA comme nous pourrions le faire avec un logiciel de comptabilité. L’IA va au-delà de l’outil technologique, c’est une notion qui induit, comme expliqué ci-avant, une refonte des relations humaines que nous connaissons.
Il est essentiel que les cabinets de demain perçoivent cela comme un projet à part entière qui devra être préparé, cadré et mené avec méthodologie pour en prévoir, gérer et maîtriser les risques associés en termes, entre autres, de responsabilité et de déontologie.
Quels seraient, selon vous et à ce stade de vos réflexions, les progrès à faire au sein de la profession ? Quels en sont les freins ?
A ce stade et en l’état actuel des choses, la profession a pris conscience des évolutions en la matière. Il n’y a qu’à se tourner vers le prochain congrès de l’Ordre qui aura lieu courant septembre 2019 et qui aura pour thème « L’expert-comptable au cœur des flux ».
La refonte du site internet du Conseil Supérieur de l’Ordre des Experts-Comptables, la création du site Cap sur le numérique, la création du Lab50, la proposition d’outils ou de ressources documentaires sur le numérique sont autant d’éléments qui montrent le soutien de la profession sur ces sujets de digitalisation.
Cependant, bien des professionnels du chiffre perçoivent cette technologie comme une menace. La résistance au changement et la crainte d’évoluer sont naturelles chez tout être humain.
Je pense qu’il est nécessaire d’aborder l’IA comme une véritable opportunité d’évolution et de développement dont il ne faut pas avoir peur.
Par ailleurs, je pense que l’adoption progressive de la facture électronique et l’accroissement des données informatisées vont contribuer à accroitre le volume de la data à traiter. Ces data sont autant de sources nécessaires au bon fonctionnement de l’IA dans notre métier. Quid de la sécurisation et de la fraîcheur de ces données ? A mon sens, les principaux freins se trouvent dans cette question. L’arrivée de l’IA au sein de notre profession met en avant des problématiques en matière de sécurisation et de fiabilisation de la data. Ces enjeux sont incontournables dans le développement et l’intégration de l’IA au sein de notre profession.
Existe-t-il un marché pour ce type de mission ?
Je suis responsable d’un portefeuille de dossiers composé majoritairement de TPE dans des secteurs d’activités divers et variés. Chaque jour, ces clients me font part de leur désir d’informations régulières et de leurs souhaits d’utiliser des solutions de pilotage simples et rapides. Ces personnes souhaitent ancrer leur structure dans une démarche d’anticipation et de réaction afin de pouvoir se focaliser sur leur cœur de métier. En tant que conseiller privilégié, nous devons être en mesure de répondre à ces demandes et proposer des missions leur permettant de faciliter leur quotidien.
L’intégration de l’IA au sein de nos structures d’expertise comptable est un véritable atout qui mérite d’être exploité et permettra ainsi de proposer à nos clients, demandeurs ou non, des solutions d’optimisation, de prévision et d’anticipation de leur activité économique.
Quel client n’a jamais rêvé d’avoir un expert-comptable 24h/24 et 7j/7 répondant à ses diverses questions de manière instantanée ? Quel client ne voudrait pas avoir ses états financiers actualisés en temps réel ?
Nos clients vivent leur métier à chaque instant ! Ils sont passionnés, déterminés et animés par leur métier.
L’instantanéité et la précision des conseils qui leur sont fournis sont essentiels. Il n’y pas d’autre professionnel mieux placé pour accompagner le dirigeant vers le succès et l’aboutissement de son projet économique que l’expert-comptable. Quel expert-comptable n’a jamais souhaité que les écritures de clôture de comptes annuels soient passées automatiquement afin de se libérer plus de temps pour approfondir les conseils fournis à ses clients ?
L’IA représente une solution évidente à toutes ces questions.
La circulation des flux, le stockage de l’information via le big data, l’apprentissage machine ne sont que des procédés technologiques de l’intelligence artificielle.
Il n’est pas question de remplacer l’expert-comptable par un robot comme certaines études s’attardent à vouloir le démontrer. L’expert-comptable s’adaptera à son environnement technologique comme il a toujours su le faire et développera son métier d’accompagnement à travers l’environnement de l’IA.
Comment, ceux qui liront cette interview, pourraient vous aider à progresser dans vos travaux ?
Il ne faut surtout pas que les personnes qui liront cette interview hésitent à me partager leur perception de l’IA.
Je suis intéressé par l’ensemble des retours qui peuvent m’être faits sur le sujet de l’IA au sein de nos structures d’exercice professionnel, que ces derniers soient des craintes, des peurs ou encore des motivations vis-à-vis de l’arrivée de cette technologie dans notre profession. L’échange est source de réflexions.
Je n’hésiterai pas à échanger avec eux sur les travaux que je mène et à leur partager les outils permettant d’intégrer l’IA au sein de leur structure dès que ces derniers seront aboutis.
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