En créant la rubrique « mémoire du futur », le Lab50 a souhaité mettre en valeur et encourager les experts-comptables mémorialistes qui ont choisi d’approfondir un thème lié à l’intelligence artificielle. Et ainsi de mettre à disposition de la profession leurs travaux et œuvrer au bénéfice de tous. N’hésitez pas à les encourager en leur faisant part de vos retours d’expérience, le cas échéant.
Lab50 : Pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 34 ans et je suis expert-comptable fraichement diplômé, à Saint-Raphaël. Originaire de la région parisienne, j’ai passé mon Bac S au Prytanée National Militaire. J’ai toujours cherché l’excellence ; non pas par snobisme, mais parce que c’est un moteur intellectuel de folie.
Maths sup & Maths spé ont forgé ma résilience, puis j’ai réalisé que cela ne me mènerait vers des ponts pas si solides que ça. Entre-temps, j’avais déménagé dans le sud et rencontré une expert-comptable sur Cannes. J’ai alors découvert la profession libérale. Cette idée de liberté m’a séduit.
Le métier d’Expert-comptable est extraordinaire, par l’étendue des connaissances et compétences qu’il propose. Chaque expert-comptable peut se créer son propre métier. Chaque expert-comptable est pour ses clients un comptable, un fiscaliste, un juriste, un gestionnaire, un conseiller, coach, psychologue, vendeur, acheteur, négociateur, arbitre, gendarme ou juge, entraineur. Et même un parent : qui n’a pas entendu son collaborateur parler de border le lit de son client ! En réalité, nos clients ont une confiance extraordinaire envers leur expert-comptable.
Exercer ce métier est également extrêmement enrichissant en termes de découverte des métiers, de l’économie et de l’humain. Il donne une approche de la réalité de l’économie, de la justice, des entreprises, des salariés, de leurs finances et de leur fonctionnement. Les quelques 20 000 experts-comptables en France ont tellement de données, que je m’interroge depuis des années sur l’absence de leur utilisation par les pouvoirs publics, mises à part les TVA et quelques déclarations. Notre métier passe encore trop à côté de son potentiel. Mon envie de donner aux experts-comptables le plein potentiel de leur valeur a motivé le choix de mon sujet de mémoire.
Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
La faible écoute des richesses et de l’expérience des experts-comptables par les pouvoirs publics est l’une des motivations de mon choix de sujet de mémoire en lien avec l’Intelligence Artificielle. Mais ce n’est pas la seule.
La première raison est bien évidemment mon goût prononcé dès l’enfance pour l’informatique. Mais j’ai également toujours su que l’informatique, n’est qu’un moyen, et non une fin.
J’ai découvert par hasard la tenue d’une journée spéciale Mémoire, organisée par l’ANECS dans les Alpes Maritimes. J’y ai rencontré un extraterrestre (je profite de ces lignes pour le remercier infiniment) du nom de Cyril DEGRILART, jeune expert-comptable, passionné par le métier, par l’application des technos au service de la profession, par le DEC, le mémoire, et ses enjeux.
Cyril m’a demandé « Qu’est-ce qui te passionne ? » et ça a été le déclic. Je suis un passionné de data, et toute la data que l’on produit est normée par l’administration, à destination de l’administration, contrôlée par l’administration. Or l’administration devrait passer après le client.
Les obligations augmentent, les contrôles aussi, les clients veulent payer de moins en moins et les collaborateurs sont de plus en plus difficiles à trouver sur le marché. Les experts-comptables se retrouvent aujourd’hui dans un goulot d’étranglement, entre les contraintes administratives croissantes, les désirs grandissants, exprimés ou non, de nos clients, et l’arrivée des disrupteurs.
Que ce soient des applications de type Georges le Robot, Fred de la Compta, ou même des services des néo-banques, de style Qonto… Cette arrivée des disrupteurs a été pour moi le signal qu’on ne peut plus dorénavant faire comme on l’a toujours fait.
Les data sont présentes, chez nous, ou chez nos clients, lesquels clients nous font une confiance inestimable. Je me suis dit qu’il ne tenait qu’à nous pour faire le premier pas, et chercher à creuser cette mine d’or et l’exploiter, pour notre profession, pour nos clients, et pour tout l’environnement économique et social, que nous servons. Et ça tombait bien, car comble du hasard ou pas, un « outil » qui va pouvoir nous aider à traiter nos données et celles de nos clients vient d’émerger. Il s’agit de l’Intelligence artificielle. Et ce n’est pas pour rien qu’on en parle que maintenant.
J’ai visionné sur Youtube la rediffusion de la conférence de mars 2018 organisée par le CSOEC sur l’intelligence artificielle à la station F. La conclusion, sous forme d’invitation, était sans équivoque : « Emparez-vous en ». J’ai donc souhaité répondre à l’invitation ?
Mon mémoire a été pour moi le moyen de mettre en lumière la réalité de l’IA de nos jours, ses cas d’usage, en particulier pour le cabinet d’expertise comptable, pour le client, mais aussi et surtout pour le collaborateur. Car nos collaborateurs sont la plus grande valeur de nos cabinets. Ils sont notre production. Ils sont notre image. Ils sont notre force. Il suffit de lire tout ce que l’on peut trouver aujourd’hui sur la notion de symétrie de l’attention clients/employés pour s’en convaincre. Et pour être certain que l’implantation de l’IA au sein des cabinets se passe correctement, pour qu’elle soit comprise, acceptée et employée à bon escient, je propose dans mon mémoire une démarche de première appropriation de l’IA au sein du cabinet par le biais d’un Chatbot, orienté collaborateur.
Plus précisément, pouvez-vous nous expliquer en quoi l’implémentation d’un Chatbot peut apporter à la relation cabinet/client ?
Le terme Chatbot désigne un programme informatique capable de parler ou discuter, de façon autonome. On parle également, en français, d’agent conversationnel. Ils sont maintenant présents chez des marques de tous secteurs : Transport (Air France, Voyages SNCF), assurances (Axa), banques (Djingo), chez les jeunes (Jam), rencontres (meetic), humanitaire (La Croix Rouge), recrutement (Adecco), Formation (Lingio), médias (CNN), restauration (Domino’s Pizza), …
L’acculturation déjà effectuée des français au Chatbot, accompagné de sa simplicité de création et d’utilisation, m’ont donc fait opter pour cet outil pour introduire de l’IA au sein des cabinets d’expertise comptable. Une fois que les collaborateurs verront le Chatbot et l’IA comme un allié et non pas une menace, nous pourront alors rajouter des briques technologiques les unes après les autres. Et la suivante devrait être de manière tout à fait logique le Chatbot orienté client.
Le cabinet d’expertise comptable pourra alors proposer à ses clients un agent conversationnel, sur leur site internet ou leur application. Son objectif sera de répondre aux attentes des utilisateurs d’un Chatbot, en temps réel. Ce qui apporte une fluidité nouvelle et inédite à la relation cabinet/client.
Les 3 premières attentes des clients, concernant le Chatbot, sont d’obtenir une réponse rapide à une question simple, 24/24. Et des réponses rapides à des questions simples, nous en faisons tous les jours. J’en prends pour exemples les cas d’usages suivants : Renvoyer un exemplaire d’un bilan. Dire si une facture a été réglée. Prendre ou confirmer un rendez-vous. Annoncer la tarification d’une prestation. Indiquer quel est le montant des cotisations sociales qui sera prélevée le mois prochain. Répondre à une question sur une convention collective. Répondre sur les gains apportés par les tickets restaurant, la JEI ou une transformation en SAS. Qui doit élire des représentants du personnel, quand et comment ? Est-ce que je peux annuler un prélèvement SEPA ? J’ai été démarché pour la RGPD. Dois-je payer ?
Les questions simples à réponse rapide sont infinies. Les apports du chatbot sont donc inestimables.
Il s’agit d’un enjeu crucial, qui permettra aux collaborateurs et aux experts-comptables d’être moins dérangé tout au long de la journée, et ainsi d’augmenter son taux de concentration sur les sujets plus pointus qu’il a à traiter. Tout le monde est gagnant. L’expert-comptable augmente la satisfaction de son collaborateur et de son client de façon symétrique. Et gagne en productivité.
M’est avis que si la profession ne s’empare pas du sujet, d’autres le feront très rapidement. Nous privant ainsi des questions de nos clients. Nous avons déjà subi l’effet Google. Ne subissons pas l’effet Chatbot. Emparons-nous en. Car les usages à venir, comme en témoigne l’étude SurveyMonkey 2018 sur le sujet, est épatante : la deuxième attente, dans la prospective, est la résolution de problème …
Est-ce facile de trouver des solutions techniques ? Quelles seraient, selon vous et à ce stade de vos réflexions, les progrès à faire au sein de la profession ? Quels sont les freins ?
Toutes les personnes de la profession à qui j’en ai parlé m’ont tous fait la même remarque : je n’ai pas le bagage technique pour créer un Chatbot. Le premier et principal frein relève de la formation initiale. Mais j’ai appris que « the problem you solve is more important than the code you write”. Alors, qu’à cela ne tienne ! Je suis donc parti sur l’idée de la création d’un outil simple, qui me permette de me familiariser avec la création d’un ChatBot. Et un Chatbot simple, ça existe. Car dans la pratique, il existe des Chatbot de plusieurs niveaux « d’intelligence » ou de complexité.
Vous allez rencontrer des Chatbots dont l’échange sera préprogrammé à 100%. L’utilisateur ne pourra que cliquer sur des réponses préprogrammées. Pas vraiment d’IA à ce niveau, mais ce Chatbot est extrêmement simple à créer pour s’initier. Et peut à lui seul répondre à nombres de problématiques.
Sans vouloir aborder toutes les typologies de Chatbot, il y a bien entendu des Chatbot plus évolués, qui vont utiliser des briques supplémentaires. Les outils actuels permettent de plus en plus facilement de lier ces différentes briques. Nous allons ainsi pouvoir rajouter des véritables technologies d’IA, de NLP (Natural Langage Processing, traduit par Traitement du Langage Naturel) par exemple. Cela va aider la machine à comprendre une question écrite par l’utilisateur, reconnaître le type de question, lui trouver une question s’y rapprochant dans les questions préprogrammées, et offrir la réponse adaptée.
Les solutions de création d’agents conversationnels fleurissent sur le net. On parle de Chatbot sans coder. Botsify, ManyChat, Chatfuel, Recast.ai (que je suis allé rencontrer lors d’un meetup à Paris), Amazon Lex, Facebook Messenger, AzurBot Service de Microsoft, DialogFlow de Google, Watson Assistant, et bien d’autres.
Selon moi, la profession a deux chemins essentiels à suivre : celui de l’ouverture dans un premier temps (vers d’autres types de solutions, d’autres types de collaborateurs, d’autres types de compétences à faire évoluer en interne) ; Et celui de la confiance en soi dans un second temps. L’expert-comptable en France a longtemps été bridé. J’en prendrai comme exemples la publicité, dont il s’est emparé il y a quelques années grâce à une action en justice d’un confrère. Mais également, plus récemment, des success fees.
Nous sommes des chefs d’entreprises. Afin d’éviter de voir notre profession étouffer et disparaître sous l’évolution de la réglementation, la baisse des honoraires, et l’apparition de nouveaux entrants qui cassent les codes,
il est de notre devoir de continuer à briser les freins, réglementaires, technologiques ou psychologiques qui nous brident, et d’agir dorénavant en chefs d’entreprise.
Le temps d’attendre est, à mon sens, révolu. Car l’IA aujourd’hui commence à devenir un outil indispensable d’aide à la décision.
Et l’aide à la décision, c’est le métier de l’Expert-comptable. Nous ne pouvons plus nous permettre de passer à coté.
Je profite de ces liges qui me sont accordées pour faire un triple appel.
Un appel dans un premier temps au rassemblement et à l’union des jeunes diplômés, ou mémorialistes, qui travaillent sur l’IA et la data, afin que l’on puisse faire émerger de façon très concrète de nouvelles solutions au profit de notre profession. Cette union est primordiale à mes yeux. Car cela fait 15 ans que je travaille dans l’expertise, et je sais parfaitement que sans rassemblement, si nous restons tous isolés dans notre coin, le train de la vie, des clients, des déclarations, du management du cabinet, des emprunts à rembourser a énormément de chances de prendre le dessus sur nos appétences et nos ambitions.
Je veux parler ici aux jeunes, qui s’endettent aujourd’hui pour acquérir des clientèles à des prix toujours aussi élevés. Faisons bouger les choses, innovons, faisons des erreurs, apprenons, rassemblons-nous, testons des solutions, des produits, des offres. Passons à l’offensive.
Mais c’est aussi un appel à l’attention de nos institutions, pour qu’elles entendent nos besoins, nos réflexions, notre vision du futur de la profession. Cet avenir nous appartient déjà. Mais nous irons plus vite grâce à votre appui, à vos ressources, à vos carnets d’adresse, à votre expérience et à votre légitimité. Nous prendrons la place qui est la nôtre. Accompagnez-nous.
Vous souhaitez nous soumettre le sujet de votre mémoire IA, blockchain, data et rejoindre la communauté « Mémoire du futur » ?
Ecrivez-nous à p.paresys@crcc-paris.fr